La dame aux cheveux rouges
Je déteste aller au centre-ville à cause de ce fichu parking. Il est presque impossible de se garer, à moins d’avoir beaucoup de chance. Mais ce soir, j'avais vraiment besoin de changer d’air. L’idée de prendre un verre au 13ᵉ étage, avec une vue panoramique sur la ville, m’intriguait.
Un homme sage a dit un jour que si vous devez absolument boire seul, autant le faire devant un beau coucher de soleil. Cet homme n’a jamais existé, mais à 18h30, j’étais persuadé que le ciel de Phoenix valait le détour.
Ce soir-là, j’ai eu de la chance : une place payante s’est libérée juste devant l’hôtel. “13th Floor Rooftop Bar”… Je cherchais une enseigne avec ce nom, mais rien. J’ai vite compris que le bar devait être à l’intérieur. Je me suis approché du voiturier, qui m’a confirmé l’info. Il m’a indiqué un ascenseur rouge sur la droite.
Je n’ai pas eu de mal à trouver ce que je croyais être l’ascenseur. Une porte rouge se dressait juste devant moi. La pièce derrière était petite, faiblement éclairée, avec des murs rouges. Sans hésiter, j’y suis entré. À peine à l’intérieur, j’ai commencé à tourner en rond, à la recherche du fameux bouton qui me propulserait au 13ᵉ étage.
« Hmm, ils voulaient vraiment créer une atmosphère mystérieuse », me suis-je dit en levant les yeux vers le plafonnier — qui, franchement, ne ressemblait à aucun de ceux qu’on voit dans un ascenseur. C’est alors que j’ai compris : le véritable ascenseur était juste devant moi.
J’ai appuyé sur le bouton arrondi, et une minute plus tard, j’étais au bar.
Honteux, mais amusé par ma propre confusion, je riais intérieurement lorsque la serveuse s’est approchée pour me demander ce que je voulais boire. Sans réfléchir, sans même regarder le menu, j’ai demandé un Moscow Mule.
Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse si frais. Ma chemise noire ne protégeait pas grand-chose du vent, mais j’espérais que l’alcool me réchaufferait rapidement.
Je repensais à ma journée de travail quand je l’ai remarquée.
Assise seule de l’autre côté du bar.
En réalité, il n’y avait qu’elle et moi.
La serveuse revint avec mon verre. J’ai jeté un coup d’œil à la tasse en cuivre et je me suis demandé pourquoi on utilisait ce métal. Peut-être pour mieux garder la boisson au frais, le cuivre étant un bon conducteur thermique.
Pourquoi m’attarder sur des pensées aussi futiles ? me suis-je dit.
Chez moi, on dit que c’est malpoli de fixer les inconnus. Alors je l’ai regardée du coin de l’œil.
Mais il était impossible de ne pas la remarquer. Elle avait les cheveux rouges !
Je pris mon verre et, sans trop réfléchir, je me suis approché d’elle. Le froid qui me tourmentait tout à l’heure s’est dissipé aussitôt. Je compris rapidement pourquoi.
C’étaient ses yeux!
Ils brillaient.
Comme si un feu dansait dans ses iris bruns.
— Salut, tu peux m’appeler Ismaël, lui ai-je dit en lui tendant la main.
Elle me répondit avec un immense sourire, tout en me serrant la main. Je crois qu’elle avait compris que je faisais allusion au personnage de Moby Dick.
Sa main était d’une douceur exquise, comme du velours. Son sourire, éblouissant.
Il évoquait une matinée tropicale, avec une brise fraîche sur le visage et l’arôme puissant du café noir dans l’air. Ses dents, blanches comme des diamants, étaient encadrées par des lèvres pulpeuses.
Depuis la pandémie, on nous a appris à cacher nos sourires.
Et parfois, c’est peut-être mieux.
Certains sourires éveillent des pensées dangereuses. Mais celui de la dame aux cheveux rouges ? Même un masque épais n’aurait pu le contenir.
Je suis venu dans ce bar pour regarder le coucher du soleil. Mais je resterai pour la dame aux cheveux rouges.
Elle vit que je m’étais perdu dans les traits de son visage et m’invita à m’asseoir d’un simple geste.
Et avec un sourire encore plus grand, elle se présenta.
Quand elle m’a dit son nom, elle est devenue encore plus belle.
Anaïs.
Bien sûr!
Anaïs n’est pas un prénom. C’est une fée en visite sur la Terre.