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Les Lucioles Éternelles

Une inscription en morse… Je ne savais pas encore que les points et traits gravés sur sa peau lisse formaient le mot magical. Magique, oui — tout comme l’atmosphère qu’elle faisait naître en surgissant dans la salle.

Cela faisait près de quarante-cinq minutes que j’étais là, assis dans ce bar. Comme d’habitude, je voulais regarder le coucher du soleil. Mais, collé au bureau, j’avais raté ma chance. Depuis ma chaise, sur ce rooftop qui dominait la ville, je regardais sans cesse les voitures défiler en bas. J’ai pris une gorgée du cocktail que je tenais depuis un moment déjà. Je voulais simplement me vider la tête.

Et puis, je tournai la tête au bon moment — juste pour voir cette dame entrer dans le bar. Mais j’étais loin d’être le seul dont elle avait capté l’attention. Elle avait les cheveux blonds. Un corps parfait flottait dans sa robe rouge, électrisant l’air au point que chaque regard semblait retenir son souffle. Elle ne semblait pas simplement entrer dans un lieu, mais plutôt l’illuminer, comme une apparition qu’on n’attend pas et qui pourtant s’impose, naturelle, évidente.

Elle s’installa au bar, sans hâte, comme si elle en devenait l’âme secrète. Devant elle, un verre de whiskey ambré captait les lueurs tamisées, transformant chaque reflet en éclats d’or et de cuivre. J’avais l’impression que la lumière elle-même cherchait à lui appartenir.

Son rire éclata, franc et coloré, comme un jaune vif qui fend la grisaille. Son regard, profond, avait la densité d’un bleu nuit. Et ses mots, lorsqu’elle se pencha légèrement vers son verre, glissèrent comme un rouge brûlant sous ma peau. À chaque pas, je sentais mon corps s’embraser d’une flamme prête à consumer toutes mes certitudes, tous mes repères. J’étais déjà perdu dans ses yeux, sans la moindre envie de retrouver mon chemin.

Je finis par l’approcher. C’était impossible de ne pas remarquer l’inscription en morse tatouée sur son poignet droit, lorsque sa main se tendit vers moi pour me dire son nom.
Amelia.

Je me suis aussitôt demandé si ce n’était pas le nom d’une déesse oubliée, sortie de quelque mythologie. Non. Mais sans doute aurait-elle pu en être une. Elle ne me fit pas supplier pour m’inviter à m’asseoir à ses côtés. Et très vite, sans y penser, nous nous abandonnâmes à un petit jeu complice : observer les gens autour de nous, et inventer leurs histoires.

Amelia changeait de voix et de ton à chaque fois pour imiter les personnages qu’elle décrivait. Je n’avais d’autre choix que de me laisser entraîner dans le jeu. Après tout, il est des charmes auxquels on ne prétend même pas pouvoir résister. Ce serait contre nature, non ?

Nos verres s’entrechoquèrent doucement, dans ce tintement fragile qui marque parfois le début des grandes histoires. Entre deux gorgées de whiskey, nos mots se mirent à danser comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Il y avait dans ses phrases une spontanéité et, dans mes réponses, une évidence : comme si la conversation avait été écrite bien avant que nous nous rencontrions.

Nos verres vides, elle me proposa une promenade. J’acceptai sans hésiter. Il faisait si beau dehors. Le centre-ville de Phoenix se défilait sous nos yeux. Peu d’immeubles trop hauts. Les rues vibraient encore d’échos et de néons, mais autour d’elle, tout semblait ralentir — comme si la ville entière acceptait de s’effacer pour nous laisser seuls dans son décor.

Le ciel, piqué d’étoiles, s’était transformé en toile vivante — un chef-d’œuvre mouvant que même les plus grands peintres auraient envié. Nous n’avions pas partagé le coucher du soleil, mais la nuit nous offrait une scène plus vaste, plus audacieuse encore.

Nous étions si absorbés dans nos conversations que nous ne remarquâmes pas le temps passer. Au détour d’une rue, le musée d’art se dressa devant nous, imposant et silencieux. Elle me demanda depuis combien de temps je n’y étais pas venu, et si je n’avais pas envie d’y entrer. J’évoquai l’évidence : il était tard, le musée était fermé. Elle me répondit d’un sourire mystérieux et m’invita simplement à la suivre. J’étais déjà embarqué dans l’aventure.

Je ne m’étais pas rendu compte que j’étais en compagnie d’une artiste. Plus tard seulement, je compris qu’elle faisait partie du staff qui gérait le musée.

Les portes closes s’ouvrirent comme par magie. Nous pénétrâmes dans un sanctuaire silencieux où les œuvres, baignées d’une pénombre protectrice, semblaient nous attendre. Chaque tableau retenait son souffle, chaque sculpture paraissait suspendue entre ombre et lumière. J’avais l’impression de marcher dans un rêve, guidé par une muse en chair et en os.

Elle me conduisit vers une salle reculée. Devant une porte discrète, elle s’arrêta, ses doigts glissant sur la poignée avec une lenteur calculée.
Tu veux voir quelque chose que le public ne découvre jamais ainsi ? murmura-t-elle.

Lorsque la porte s’ouvrit, je crus pénétrer dans un autre monde. Des milliers de petites lumières suspendues flottaient dans l’obscurité. Les miroirs qui bordaient l’espace reflétaient l’infini, engloutissant nos silhouettes dans une nuée de lucioles éternelles.

Elle s’avança la première, et son corps se découpa dans cette constellation artificielle. Le mot magical inscrit sur son poignet prit alors tout son sens. Elle n’était pas seulement dans l’œuvre — elle en était le cœur battant.

Et moi, perdu dans cette infinité de reflets, je la suivis. Dans ce ciel irréel, parmi les milliers de feux suspendus, il n’y avait plus que deux étoiles qui se reconnaissaient. Deux éclats distincts, attirés l’un vers l’autre, jusqu’à se fondre en une lumière unique.

Le temps perdit toute consistance. Il n’y avait plus ni musée, ni ville, ni nuit derrière nous.
Seulement l’évidence d’une rencontre destinée à embraser l’espace d’un instant éternel.

Billy PierreComment